(...) Le renforcement des audits de performance au niveau de la classe devient à un certain point contre-productif. Il entrave alors, plutôt qu’il ne favorise, l’amélioration de la qualité de l’enseignement, épuise la confiance dont cette amélioration dépend et dégage en grande partie la responsabilité des enseignants quant aux résultats — plutôt qu’aux «produits» ― de leur enseignement. Le renforcement de la responsabilité par l’audit peut rassurer les décideurs et peut-être les « consommateurs» de l’éducation en ce qu’il garantit le respect de normes minimales, mais il risque aussi de freiner l’amélioration de la qualité. Non que la responsabilité n’ait pas besoin d’être renforcée dans les systèmes éducatifs; mais elle doit l’être selon une logique d’évaluation différente de celle qui inspire les audits de performance.
Il s’agit d’instaurer un meilleur équilibre entre l’évaluation aux fins des audits de performance et l’évaluation visant à améliorer la qualité.
4. Cela maintient les enseignants dans un état d’activité constante
Ne laissant pas agir le temps et aspirant à rendre la performance totalement transparente, les audits de performance pratiqués sans relâche font que les enseignants sont en permanence sur la brèche. La culture de l’audit ne tient pas compte du temps parce qu’elle est façonnée par un sentiment d’urgence. De son point de vue, le système est en état de crise, la catastrophe est toujours imminente et il faut agir sur-le-champ pour l’éviter. Les membres de l’organisation doivent donc être maintenus constamment en action. Cela change la conception du «professionnalisme» de l’enseignant qui est le but de son perfectionnement, ce but devenant de «promouvoir l’agent compétitif et toujours actif dont le travail est contrôlable par des audits» plutôt que «l’enseignant qui inspire ses élèves» (voir Strathern, 2000).
Avant l’avènement des audits de performance, les procédures de reddition de comptes par les enseignants étaient très lâches et l’on peut faire valoir à juste titre que ceux-ci étaient investis d’une excessive confiance inconditionnelle. Cependant, la solution du problème ne consiste pas à élargir sans cesse le champ d’un modèle de contrôle fondé sur la soumission qui a été emprunté au secteur privé. Lorsque cette extension atteint le point où la confiance placée dans les enseignants finit par leur être en grande partie retirée et où ils sont si occupés à mieux se préparer aux audits qu’ils n’ont plus le temps de réfléchir aux moyens d’améliorer la qualité de leur enseignement, ce système de contrôle ne fonctionne plus convenablement.
La solution, c’est de renforcer une forme de responsabilisation qui place dans les enseignants une confiance conditionnelle et est sous-tendue par des pratiques d’évaluation reposant sur une autre logique. À cet égard, certaines procédures de mise en oeuvre de la notion de pratique fondée sur la preuve qui font appel aux ressources méthodologiques des sciences sociales peuvent montrer la voie à suivre.
Ce qui est clair, c’est que tout progrès implique une transformation sensible de la manière dont l’État social-démocrate conçoit son rôle dans le secteur public et ses rapports avec les institutions de ce secteur et ceux qui y travaillent. Peut-être évoluera-t-il encore sous sa forme d’État-évaluateur ; cependant, son approche de l’évaluation doit dépasser celle qui est exclusivement façonnée par des formules empruntées au secteur privé. Ce doit être une approche faisant davantage confiance aux professionnels du secteur public pour qu’ils s’autorégulent et évaluent leurs pratiques à la lumière d’idéaux de service conformes aux valeurs d’une démocratie pluraliste. Dans le domaine de l’éducation, la sauvegarde et la défense des idéaux éducatifs dans une démocratie de cette nature devraient figurer parmi les missions principales des formateurs des maîtres dans les établissements d’enseignement supérieur.
John Elliott
La réforme de l’enseignement dans l’État-évaluateur Perspectives, volume XXXII, n.° 3, septembre 2002
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