L'éducabilité est d'abord le principe "logique" de toute activité éducative: si l'on ne postule pas que les êtres que l'on veut éduquer sont éducables, il vaut mieux changer de métier. C'est aussi un principe heuristique essentiel: seule la postulation de l'éducabilité de l'autre interdit à l'éducateur d'attribuer systématiquement ses échecs à des causes sur lesquelles il n'a pas pouvoir et d'engager la recherche obstinée de nouvelles médiations. C'est pourquoi, sans doute, l'immense majorité des "inventions didactiques" a été effectuée par ceux et celles qui se sont attachés à éduquer des êtres jusque là réputés inéducables. Mais l'affirmation de l'éducabilité de l'autre est aussi, paradoxalement, un signe de modestie: elle interdit d'obturer définitivement son avenir en le condamnant à n'en faire qu'une duplication de son passé; elle laisse ouverte la possibilité d'un changement, d'une réussite, d'une rédemption, dont nous savons bien, dans le registre de l'humain, qu'ils peuvent toujours advenir. Le postulat de l'éducabilité est, enfin, une sorte d'"efficace du regard" en ce qu'il communique à l'autre, le plus souvent à notre insu, une image de lui-même à laquelle nous savons bien qu'il a souvent tendance à se conformer.
Mais le principe d'éducabilité peut, on le sent bien, être porteur de préoccupantes dérives: on sait ce qu'il advient quand on se donne pour objectif d'éduquer "quoi qu'il en coûte": la violence n'est pas loin, l'exclusion parfois, la "rééducation" de temps en temps. Le piège, en Education, c'est de confondre la formation d'une personne et la fabrication d'un objet, de ne pas supporter que l'autre nous échappe, se récuse... et d'abandonner le principe d'éducabilité quand l'autre ne nous paye pas des efforts que l'on a fait pour lui par sa reconnaissance, sa soumission ou sa réussite. Le vrai pari éducatif c'est celui de l'éducabilité associé à celui de la non-réciprocité: tout faire pour que l'autre réussisse, s'obstiner à inventer tous les moyens possibles pour qu'il apprenne mais en sachant que c'est lui qui apprend et que, tout en exigeant le meilleur, je dois me préparer à accepter le pire... et surtout à continuer à exiger le meilleur après avoir accepté le pire! Admettre que le principe d'éducabilité soit constamment mis en échec sans, pour autant, y renoncer. Assumer la négativité de l'éducabilité, sans, pour autant, basculer dans le dépit et la suffisance, sans sombrer dans le fatalisme.
Le principe d'éducabilité et son corollaire, le principe de non-réciprocité, sont donc au coeur de la dynamique pédagogique, ils en constitue, en quelque sorte, le pari fondateur... Choix éthique et politique à la fois, ils sont, en réalité, la véritable "pierre de touche" de bien des débats qui auraient intérêt, pour la clarté de la discussion actuelle, à faire ressortir systématiquement cette dimension des choses.
Qu'est-ce qui se joue, au fond, à travers le statut des recherches pédagogie, si ce n'est la position que l'on prend sur ces deux questions essentielles: suis-je prêt à faire le pari de l'éducabilité de tous et à mettre en oeuvre toutes les connaissances dont je dispose et toute l'imagination dont je suis capable pour y parvenir? Suis-je prêt à accepter que l'autre échappe à mon projet, ne me paye ni en reconnaissance, ni en soumission, puisse se dégager de mon influence... sans, pour autant, lui en vouloir ni abandonner ma détermination?
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